En cancérologie, la panoplie des nouvelles armes scientifiques et thérapeutiques ne cesse de s’élargir et de s’enrichir et déborde maintenant largement le champ de la biologie pour aller puiser de nouvelles ressources dans les domaines des sciences physiques, mathématiques ou optiques.
Plus de vingt ans après la découverte des nanotubes de carbone, les nanotechnologies commencent enfin à sortir des laboratoires et à révolutionner la lutte contre le cancer, tant dans le domaine de la détection que des nouvelles approches thérapeutiques ciblées.
Il y a quelques semaines, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont présenté un dispositif permettant d’amplifier à l’aide de nanoparticules interagissant avec des protéines spécifiques, des quantités même infinitésimales de biomarqueurs liés à la présence d’un cancer et présents dans l'urine.
Cette avancée permet déjà de révéler avec précision la formation précoce des tumeurs colorectales et s’avère prometteuse pour mesurer la réponse tumorale à la chimiothérapie et détecter les métastases (
Voir article Nature).
En octobre 2012, des chercheurs britanniques ont mis au point, pour leur part, un test biologique de nouvelle génération qui permet de dépister directement à l'œil nu un cancer à un stade très précoce !
Ce détecteur se compose de minuscules particules d'or dispersées sur un ruban plastifié qui est utilisé pour analyser la composition biochimique du sang du patient. Si certains marqueurs biologiques spécifiques d’un cancer sont présents dans le sang, même en toute petite quantité, par exemple l'antigène prostatique spécifique (PSA) qui indique la présence d’un cancer de la prostate, les nanoparticules d'or vont immédiatement réagir chimiquement et colorer en bleu le liquide présent dans ce détecteur.
En revanche, si aucun de ces biomarqueurs n’est détecté, les nanoparticules d’or réagiront alors d’une autre façon qui se traduira sur le plan chimique par une coloration rouge du liquide d’analyse. Cette méthode très fiable et peu onéreuse possède une sensibilité dix fois plus grande que les techniques conventionnelles utilisées aujourd’hui.
Comme le souligne Molly Stevens, "Le test est conçu sur des supports plastiques jetables et ne requiert pas d’équipements coûteux puisque la présence de la molécule recherchée peut être détectée tout simplement à l’œil nu" (
Voir article Nature).
Mais si les nanotechnologies sont en train de bouleverser les outils de dépistage du cancer, elles commencent également à s’imposer parmi les nouvelles stratégies thérapeutiques les plus prometteuses.
Aux Etats-Unis, en avril 2012, a commencé le premier essai clinique avec des nanoparticules conçues pour transporter jusqu’à la tumeur à détruire de grandes quantités de molécules anti-cancéreuses (
Voir article MIT news et
article Science).
Selon le Professeur Omid Farokhzad, de l'Université de Harvard, « Cette technique, testée pour la première fois chez l’homme, va bouleverser le traitement du cancer ».
Pour l’instant, une vingtaine de patients atteints de cancer généralisé ont bénéficié de cette nouvelle technique de soins et une majorité d’entre eux ont vu leur cancer se stabiliser ou régresser.
Cette nanothérapie permet, avec une quantité de médicament cinq à dix fois moins importante, d’obtenir les mêmes résultats que ceux observés par les chimiothérapies traditionnelles par voie orale ou en injections.
Cette nanoparticule, baptisée BIND-014, a été développée par la société américaine BIND Biosciences et elle a démontré pour la première fois chez l’homme qu’il était possible de concevoir et d’utiliser des nano-médicaments programmables qui amplifient considérablement l’efficacité des molécules employées contre les tumeurs visées.
Comme le souligne avec enthousiasme le Professeur Philip Kantoff, responsable de la recherche clinique au célèbre Institut du cancer Dana-Farber, « Ces premiers résultats cliniques sur le BIND-014 confirment l’immense potentiel thérapeutique de la nanomédecine dans la lutte contre le cancer ».
Il faut par ailleurs préciser qu’à l’occasion de ces essais cliniques, aucun effet indésirable sévère n’a été constaté et ce traitement est même mieux toléré que le traitement classique à des doses équivalentes.
Une autre équipe de recherche de l’Université de Singapour, dirigée par le Professeur Zhang Yong, travaille également sur une nouvelle technique de traitement optique ciblé du cancer par les nanotechnologies.
L’idée est d’utiliser des nanoparticules capables de convertir la lumière du proche infrarouge en lumière visible ou en lumière ultraviolette. Ces nanoparticules sont conçues pour être acheminées de manière très ciblée, grâce à un guidage par biomarqueurs, jusqu’à la tumeur à détruire. Une fois sur place, ces nanoparticules photodynamiques sont activées à l’aide d’un faisceau infrarouge et vont alors faire exploser les cellules tumorales.
Comme le précise le Professeur Zhang, « Cette technique d’activation par le proche infrarouge est non seulement dépourvue de toxicité pour le malade mais elle est en outre capable de détruire des tumeurs profondes ».
Autre exemple de cette effervescence en matière de nanothérapies anticancéreuses, les travaux du Docteur Stephen Grobmyer, de l’Université de Floride à Gainesville, qui utilise des nanovecteurs pour combattre le cancer du sein.
Ces nanovecteurs enrobent et transportent deux molécules anticancéreuses, le Doxil et l’Abraxane. Grâce à ce « nano-encapsulage » ces médicaments sont bien plus efficaces car ils arrivent jusqu’à la tumeur sans être repérés et dégradés par le système immunitaire du malade.
Au Centre australien de nanomédecine à l'Université de Nouvelles Galles du Sud, à Sydney, des chercheurs ont quant à eux mis au point des nanoparticules qui pourraient améliorer le traitement par chimiothérapie du redoutable neuroblastome.
Ce cancer agressif de l’enfant nécessite des chimiothérapies très lourdes qui provoquent malheureusement des effets secondaires importants. Pour contourner ce problème, les chercheurs australiens ont mis au point des nanoparticules constituées d’un polymère d’environ 20 nanomètres de diamètre qui peuvent être acheminées jusqu’à la tumeur et qui vont alors libérer de l'oxyde nitrique dans les cellules tumorales.
Ainsi fragilisées, ces cellules malignes peuvent alors être détruites avec des doses de chimiothérapie cinq fois moins importantes que celles habituellement utilisées.
En France, une jeune société, Nanobiotix, a mis au point une technologie très innovante du nom de « NanoXray ». Constatant que l’efficacité de la radiothérapie était limitée par sa nocivité pour les tissus situés autour de la tumeur, les chercheurs de Nanobiotix sont parvenus à mettre au point des nanoparticules spécifiques.
Celles-ci sont injectées dans la tumeur à traiter et permettent, grâce à leurs propriétés physiques, d’amplifier jusqu’à 9 fois les effets des rayons X, sans modifier cependant la dose réelle administrée au patient.
Ces nanoparticules viennent de faire l’objet d’une évaluation clinique favorable de la part des autorités médicales et ce traitement pourrait être disponible au niveau mondial d’ici 5 ans et bénéficier à plus d’un million de patients soignés par radiothérapie.
Il faut enfin évoquer les remarquables recherches de Patrick Couvreur, que nous suivons avec enthousiasme depuis de nombreuses années dans notre Lettre.
Ce chercheur du CNRS est devenu, depuis 15 ans, un spécialiste mondialement reconnu des nanotechnologies à finalité médicale. Il procède actuellement à la dernière phase d'essais cliniques d'un nano-vecteur, le squalène, capable d’acheminer de fortes doses de médicament pour détruire plusieurs types de tumeurs. Appliquée à la redoutable tumeur du pancréas, ce nanomédicament transportant de la gemcitabine permet de guérir les deux tiers des souris traitées alors qu’elles meurent toutes en moins de deux mois lorsqu’elles sont soumises à une chimiothérapie classique !
Récemment, ce chercheur infatigable a réussi une nouvelle avancée en associant à ce couple squalènes-anticancéreux, des nanoparticules de fer qui permettent de guider ces missiles anticancéreux jusqu’à la tumeur à l’aide d’un aimant externe et de visualiser en direct par imagerie les effets thérapeutiques de ce nanotraitement.
Ce rapide tour d’horizon des progrès décisifs récents intervenus en cancérologie grâce aux nanotechnologies et aux nanovecteurs nous montre à quel point il est vital que la médecine et la biologie s’ouvrent à l’ensembles des disciplines scientifiques et intègre de nouvelles approches théoriques et conceptuelles venues des sciences physiques et mathématiques mais aussi des sciences humaines pour parvenir à des ruptures décisives dans le combat contre le cancer.
A cet égard, il serait souhaitable qu’un programme ambitieux de recherche spécifiquement orienté sur l’utilisation des nanotechnologies en oncologie, comme le projet européen Nanomed2020 lancé en septembre 2012, soit intégré au volet concernant l’essor de la médecine personnalisée qui constitue l’une des cinq grandes priorités inscrites dans le troisième plan Cancer portant sur la période 2014-2018, qui vient d’être présenté le 4 décembre dernier par le président de la République.
Mais ne nous y trompons pas : ce qui est vrai pour le cancer le sera également demain pour d’autres défis de santé publique comme les maladies neurodégénératives, les bactéries multirésistantes ou les nouveaux virus. C’est pourquoi il est si important de réfléchir à une réorganisation profonde de notre recherche clinique et fondamentale, tant au niveau national qu’européen, afin de mieux favoriser, dés le début du cycle d’études universitaires, cette fertilisation réciproque et cette synergie très féconde entre disciplines scientifiques.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat